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Politiques du logement et marchés immobiliers
FRAREN

Il était une fois l’immobilier

by Thomas Schellen

Il était une fois, dans un petit pays presque mythique, blotti à l’extrême est de l’Océan médian, un peuple auquel on avait offert le récit d’une société résiliente, où les citoyens étaient souverains. Beaucoup se réjouissaient d’entendre leurs dirigeants leur promettre que leurs vœux se réaliseraient, pour tous, sans exception. Et le peuple était satisfait, car presque chacun possédait son petit chez-soi. L’eau se faisait rare l’été, l’électricité encore plus, mais les foyers restaient chaleureux et le climat clément. Quelques-uns vivaient dans des palais.

Ces temps de conte de fées durèrent plusieurs cycles, jusqu’au jour où une terrible explosion dévasta une partie de la capitale – et bien des esprits avec elle. L’économie du petit pays, déjà en chute libre, s’effondra, et la monnaie nationale perdit sa valeur. Peu après, une guerre d’une violence inouïe mit à nu la cruauté et la brutalité archaïque des voisins hostiles. Ainsi prit fin brutalement l’époque où les citoyens de cette petite nation pouvaient vivre leur rêve d’accession à la propriété, si modeste fût-elle, tandis que des investisseurs fortunés stockaient leur richesse dans des demeures somptueuses et érigeaient des tours résidentielles luxueuses, qui les enrichissaient sans pour autant créer de véritable valeur pour le pays. Le marché immobilier disparut.

Mais la spéculation immobilière a-t-elle vraiment cessé dans ce petit pays ?
En septembre 2025, un nouveau rapport sur le secteur immobilier libanais, publié par la banque locale autrefois prestigieuse Bank Audi, dépeint un marché en lente reprise. Le rapport s’ouvre sur la constatation suivante : « La demande immobilière [au cours des six premiers mois de 2025] a enregistré une nette amélioration, revenant aux niveaux de 2022, bien que freinée par des fondamentaux difficiles. »

D’un point de vue classique de conseil économique, il convient d’examiner si, et pourquoi, cette déclaration, ainsi que l’ensemble du rapport , s’accompagnent de sous-entendus déroutants et de contradictions latentes. Mais, dans un discours plus large sur la reprise économique du Liban, les volets immobiliers méritent d’être abordés non pas seulement en tant que réserve de valeur et terrain de spéculation. L’approche prudente de la propriété, dans une perspective macro‑sociale qui prend en compte à la fois les Objectifs de développement durable des Nations unies et des décennies d’enseignements économiques sur l’urbanisation, est que les développements immobiliers durables, insuffisamment débattus, constituent des leviers potentiels pour rehausser l’unité sociale et la productivité économique au sein d’un cadre nécessaire de développement urbain.

Une lecture critique du récit économique

D’un point de vue macroéconomique, il convient d’examiner pourquoi cette affirmation, et le rapport dans son ensemble, porte des nuances confuses et des contradictions implicites. Dans un cadre plus large sur la relance du Liban, la question immobilière mérite d’être abordée non seulement comme un simple refuge de valeur ou un espace de spéculation, mais comme un levier potentiel d’unité sociale et de productivité économique.
Adoptée sous un angle macro-social, conforme aux Objectifs de développement durable des Nations Unies et aux enseignements tirés de décennies d’urbanisation, une approche prudente du secteur immobilier montre combien le développement durable de l’immobilier reste sous-discuté, alors qu’il pourrait être moteur de cohésion et de croissance.

Une approche de marché figée

Le nouveau rapport de Bank Audi reprend pour l’essentiel le récit pré-crise : celui que les banques, les conseillers en immobilier et la presse économique répètent depuis plus de vingt-cinq ans. Il analyse sélectivement la demande à travers le volume et la valeur des transactions, avant de se pencher sur l’offre via les livraisons de ciment et les permis de construire.
Le document se conclut par une section sur les prix de l’immobilier dans le centre-ville de Beyrouth et les quartiers voisins, où l’intérêt des investisseurs reste traditionnellement fort. Enfin, il propose trois scénarios : optimiste, intermédiaire et défavorable ; tout en penchant clairement pour le plus favorable.
Dans le scénario optimiste, reposant sur des hypothèses bienveillantes (stabilité sécuritaire, cessez-le-feu durable, primauté de l’État sur les armes, efforts de reconstruction, accord avec le FMI et loi sur le comblement du déficit financier), la croissance du PIB dépasserait 8 pourcent. Les prix de l’immobilier grimperaient alors « d’au moins 20 pourcent », stimulés par une relance du crédit au logement agissant comme un « catalyseur considérable ».

Mais la véritable histoire de l’immobilier en 2025 se résume-t-elle à une lente reprise ? Le secteur occupe une place ambiguë dans le paysage économique libanais : il est enraciné dans la mentalité nationale comme refuge de valeur et outil d’investissement. Pourtant, le développement urbain intelligent et productif est indispensable à une relance économique durable, et il reste largement négligé. Le rapport bancaire illustre parfaitement cette dissonance.

Des scénarios sans profondeur

Les trois scénarios de Bank Audi comportent des risques et des opportunités, mais aucun n’intègre une modélisation économique tenant compte de politiques sectorielles ou de mesures concrètes : ni réformes fiscales, ni incitations au logement social, ni modernisation de la planification urbaine. Même dans son scénario optimiste, la banque ne projette aucun effet d’une éventuelle stratégie nationale du logement.

Le rapport admet que l’attrait spéculatif de l’immobilier local s’est affaibli, voire érodé dans le segment haut de gamme. Il reconnaît aussi la nécessité d’un nouveau paradigme : diversification, qualité et accessibilité ; sans toutefois proposer de voie stratégique pour y parvenir.

Une multitude de questions ouvertes

En décembre dernier, deux défenseurs du développement urbain, dans une étude du cabinet Badil sur la crise du logement après trois mois de guerre, appelaient à « une action immédiate et durable pour répondre aux besoins humanitaires à court terme et aux carences structurelles à long terme ».
Faut-il en conclure qu’une nouvelle stratégie nationale du logement et de l’immobilier est essentielle à la relance ? Ou au contraire, que l’initiative devrait être laissée au secteur privé, misant sur sa capacité d’apprentissage et d’adaptation ?

La vulnérabilité de la société libanaise : corruption, inefficacité, crises locales et régionales et guerre, s’est transformée en menace aiguë pour son marché du logement et sa productivité urbaine. L’État ne devrait-il pas, dès lors, aller bien au-delà de vagues incitations à l’emploi rural ?
L’année 2025 pourrait offrir au gouvernement une occasion en or : consulter le secteur privé et les milieux académiques pour concevoir une véritable stratégie nationale du logement social, de la productivité urbaine et du développement équilibré.

Une urgence nationale

En toile de fond se profile un constat accablant : depuis l’indépendance, les plans d’aménagement et d’organisation urbaine se succèdent sans jamais être appliqués. Selon Badil, les défaillances accumulées depuis 1992 tiennent à l’absence de programmes publics de logement et à la non-utilisation des terrains vacants ou propriétés de l’État à des fins sociales.
Dans le Grand Beyrouth, la coexistence d’une surabondance de logements et de prix artificiellement élevés révèle un marché profondément faussé.

Face à l’inégalité sociale extrême, à la pénurie de logements et au retard productif du pays, le Liban ne peut plus se permettre de maintenir un système immobilier défaillant. Une stratégie nationale de l’immobilier et de l’environnement devrait figurer parmi les priorités urgentes de 2025.
Et si l’on valorisait enfin la seule ressource naturelle avérée du pays, la terre, ainsi que ses actifs culturels et patrimoniaux ? C’est à ce prix que la société, et surtout les investisseurs, pourront embrasser l’impératif d’une refonte réglementaire et fiscale du secteur immobilier.

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