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Les promoteurs immobiliers du littoral libanais peuvent-ils concilier besoins publics et investissement privé ?
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by Massaad fares

Le littoral du Liban est l’un de nos atouts majeurs, mais il a aussi été le théâtre de décennies de négligence, de conflits et d’une exploitation à court terme. Avec plus de 220 kilomètres de rivage méditerranéen, il devrait être un moteur national de croissance économique, de tourisme et de bien-être public. Au lieu de cela, nous voyons trop souvent des projets spéculatifs, non réglementés ou fermés au public. À l’heure où le Liban a un besoin urgent de croissance et de stabilité, la question est de savoir si les promoteurs peuvent réellement contribuer à équilibrer l’investissement privé et l’intérêt public.

Accès du public et droits de la mer

La tension entre droits publics et privés sur le littoral n’est pas nouvelle. De la plage de Ramlet el Bayda à Beyrouth, où des citoyens se sont battus pour maintenir l’accès à la dernière plage naturelle, à la Dalieh de Raouché, où l’accès à un site patrimonial a été bloqué, chacun a pu constater comment un développement non encadré peut porter atteinte au domaine public. Au Keserwan, de longues parts du rivage ont été clôturées par des complexes qui font payer l’entrée à ce qui devrait être un littoral ouvert.

Les promoteurs peuvent changer cette image. Avec des règles et des incitations claires, des projets peuvent réserver des espaces pour des promenades publiques, des corniches ou des zones paysagées. La marina de Dbayeh, par exemple, montre comment un aménagement peut permettre au public de longer le front de mer tout en accueillant des clubs privés et des restaurants. Byblos a réussi à préserver l’accès libre autour de son vieux port tout en attirant des investissements privés. Ces modèles peuvent être déployés plus largement.

S’agissant des terrains remblayés, ou de projets visant à améliorer la productivité agricole et, plus controversés, à étendre les zones côtières et urbaines, la question demeure en suspens depuis trop longtemps. Un nombre de ces espaces est occupé illégalement ou loué à des tarifs symboliques. Légalisés sous une réglementation stricte, avec une tarification équitable, des usages définis et des recettes orientées vers l’emploi et les infrastructures, ils peuvent devenir des actifs productifs plutôt que des foyers de conflit. À défaut, les litiges ne feront que s’aggraver et l’État continuera de perdre à la fois des revenus et sa crédibilité.

Protection de l’environnement

La pollution est un autre défi majeur. Chacun sait que des eaux usées non traitées et des déchets industriels sont encore déversés en mer le long d’une grande partie de notre côte. Cela nuit non seulement à l’environnement, mais aussi à la valeur à long terme des projets immobiliers eux-mêmes.

Les promoteurs ont l’opportunité de montrer la voie là où l’État a failli. En investissant dans des systèmes sur site de traitement des eaux usées, de gestion des déchets solides et d’énergies renouvelables, ils peuvent garantir des projets durables et attractifs pour les résidents comme pour les visiteurs. Imaginez que chaque nouveau complexe ou marina du littoral soit tenu d’être équipé d’une station d’épuration, d’une production d’énergie solaire et d’installations de recyclage. L’impact cumulatif serait considérable.

À l’échelle mondiale, les investisseurs exigent des standards environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Le Liban ne peut se permettre de rester à la traîne. Un promoteur qui s’y conforme non seulement fait ce qu’il faut, mais accroît aussi la commercialité et la résilience de son projet.

Au-delà de la seule valeur d’investissement

Un problème principal est que l’immobilier côtier est souvent considéré uniquement comme un actif spéculatif. Les terrains sont achetés, lotis puis revendus sans création d’activité productive. Cela profite à quelques-uns mais n’apporte que peu à l’économie.

Pourtant, chaque hectare de littoral, s’il est développé avec une vision, peut générer des centaines d’emplois directs et indirects. Des projets intégrant hôtels, centres de bien-être, marinas, appartements avec services, espaces culturels ou même équipements sportifs attirent des touristes, des devises et des emplois durables.

Les chiffres récents confirment que le secteur immobilier reste vivant. Crédit Libanais a fait état d’une hausse des montants de transactions au premier semestre de 2025, malgré le ralentissement

général. La demande pour les biens en bord de mer demeure solide, surtout lorsqu’un plan d’usage à long terme, plutôt qu’une spéculation de court terme, est clairement défini.

Éviter les erreurs passées

On ne peut ignorer l’historique des conflits. Ramlet el Bayda, Dalieh, la fermeture de tronçons de plage au Keserwan ; tout cela a laissé des cicatrices. Si les promoteurs veulent regagner la confiance, ils doivent veiller à ne pas répéter ces erreurs. Cela suppose de laisser une partie du front de mer ouverte au public, de coordonner avec les municipalités en matière d’infrastructures et d’assurer la transparence de l’affectation des sols.

Certaines municipalités expérimentent déjà des partenariats public-privé où les promoteurs construisent des équipements tout en assurant l’entretien des promenades publiques et de l’éclairage. Cette approche pourrait être reproduite ailleurs. Le message est simple : le développement n’implique pas nécessairement l’exclusion.

Responsabilité partagée

Bien sûr, rien de tout cela ne peut advenir sans l’intervention de l’État. Le zonage doit être appliqué, les terrains remblayés régularisés de manière transparente et les recettes réinvesties dans les infrastructures. Les municipalités devraient se voir conférer davantage de pouvoirs pour veiller à ce que les projets servent les communautés locales. La société civile a un rôle à jouer pour veiller au respect de l’accès et du patrimoine.

Mais les promoteurs ne doivent pas être systématiquement vus comme l’ennemi. Ils peuvent faire partie de la solution si le cadre est adéquat. À l’État de fixer les règles et aux promoteurs de livrer des projets conciliant rentabilité et valeur publique.

Le littoral du Liban n’a pas à rester un champ de bataille entre intérêts privés et droits du public. Il peut devenir un espace partagé où investissement, environnement et société convergent. Nous disposons déjà d’exemples qui fonctionnent à petite échelle. Ce qui manque, c’est la vision et le courage pour les appliquer à l’ensemble du littoral.

Le choix est clair. Soit nous reproduisons les erreurs de projets exclusifs et non régulés au bénéfice de quelques-uns, soit nous bâtissons un nouveau modèle où l’aménagement côtier soutient réellement l’avenir du Liban. Promoteurs, État et public ont chacun un rôle. Si nous y parvenons, la côte redeviendra l’une des plus grandes forces du pays.

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