La forte accélération de la crise du logement, profondément ancrée au Liban, peut aisément être attribuée à la dégradation du parc immobilier du pays due à la guerre Hezbollah–Israël et à l’invasion israélienne de 2024. Un an après l’escalade par Israël de sa guerre contre le territoire national, et neuf mois après l’affirmation violente par le voisin agressif d’une domination militaire continue sur les terres libanaises du Sud au sein d’une zone d’intérêt définie unilatéralement, l’occupation n’a pas pris fin, en dépit de l’accord de cessez‑le‑feu d’octobre 2025 largement vanté à Gaza occupée. Du point de vue du logement national et des moyens de subsistance, la présence ennemie au Liban perdure par une destruction continue et des déplacements cachés.
Ce que documente le chaos de l’année dernière, c’est que le parc immobilier a été victime de ce conflit plus que tout autre aspect de l’économie libanaise et des moyens de subsistance. Environ 14 milliards de dollars de pertes et de dommages économiques ont été enregistrés à la suite de cette dernière confrontation. Cette dévastation agrégée a résulté d’une guerre intense de trois mois survenue à l’automne dernier, inscrite dans un conflit de quinze mois entre le 8 octobre 2023 et le 20 décembre 2024. Des dommages et pertes économiques supplémentaires, pas encore détaillés, se sont depuis poursuivis, au cours des neuf mois écoulés de l’année en cours.
Sur ces quinze mois de pertes et de destructions au Liban, 51,5 pourcent ont été comptabilisés par la Banque mondiale dans la catégorie des pertes économiques. À ces 7,2 milliards de dollars s’ajoute l’estimation, dans l’« évaluation rapide des dommages et des besoins » (RDNA) pour le Liban, selon laquelle le logement « est le secteur le plus touché, avec des coûts de dommages s’élevant à 4,6 milliards de dollars US, soit 67 pourcent » des 6,8 milliards de dollars de dommages subis par les Libanais jusqu’à la fin de l’année dernière.
En outre, les besoins de reconstruction dans le secteur du logement, représentant 6,3 milliards de dollars, soit 57 pourcent du coût total de relèvement post‑conflit, estimé à 11 milliards de dollars nécessaires entre 2025 et 2030, devraient largement dépasser les 4,6 milliards de dollars de dommages et destructions infligés au parc bâti.
Clarifier les perspectives de reconstruction
En évaluant l’ampleur de l’impact socio‑économique sur le secteur du logement et les besoins qui en résultent, il convient d’éviter une idée reçue selon laquelle la propriété équivaut à la richesse. La concentration de la richesse dans les biens immobiliers de luxe et les vastes patrimoines immobiliers existe certes au Liban, et elle est fortement inéquitable. Mais assimiler le fort taux de propriété de résidences principales au Liban à de la richesse est inexact. Ainsi, la caractéristique du paysage immobilier qu’est la diffusion de la propriété, en réalité relativement répandue dans la société, ne saurait être assimilée à la résilience sociale.
L’écart entre la propriété du logement et la perception de son propre bien‑être économique s’est creusé depuis 2020. Dans une enquête de 2023 menée par l’institut de sondage IPSOS pour le compte de la fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung, 70 pourcent des répondants d’un échantillon représentatif ont indiqué être propriétaires de leur logement (unité résidentielle). Pourtant, selon cette enquête, une majorité, 58 pourcent des répondants (quoique avec des différences régionales substantielles), décrit ses conditions de vie comme « mauvaises ou très mauvaises », contre 35 pourcent les jugeant « moyennes » et 7 pourcent affirmant qu’elles sont « bonnes ou très bonnes ».
Réalisée peu avant que le pays ne soit exposé au choc des événements du 7 octobre 2023 dans l’Israël voisin, et sans sonder les attentes de nouveaux chocs de conflit, l’enquête visait à cartographier l’impact de la crise économique et financière alors en cours sur le paysage socio‑économique et politique du Liban. Des mois avant que les chocs de conflit, en s’intensifiant, ne commencent à secouer la région, la situation socio‑économique du Liban était sous une telle pression que la propriété du logement, même sans obligations de prêt immobilier, ne pouvait être considérée comme une réserve de valeur viable aisément mobilisable via des marchés immobiliers et hypothécaires bien fonctionnels.
Dans le cadre plus large de l’après‑effondrement économique, de l’insolvabilité budgétaire d’après‑guerre et d’une faillite politique persistante, de la pauvreté multidimensionnelle à son comble et d’inégalités galopantes, la situation socio‑économique de 2025‑2035 n’est pas stable, même si l’économie globale a amorcé une trajectoire de reprise. La prise en charge des coûts de reconstruction des logements dévastés par les ménages, en dépit de quelques allégements gouvernementaux pour les propriétaires des biens touchés et de quelques nouveaux dispositifs de prêt en financement immobilier, sera prohibitive pendant de nombreuses années.
Un statu qui immobile violemment bousculé
Une seconde caractéristique notable du secteur du logement libanais est un mélange de poches spéculatives et d’une stagnation générale. Cette dichotomie s’observe au long des trois décennies écoulées depuis la fin de la guerre interne du pays en 1992. Le taux de 70 pourcent de propriétaires occupants déclaré par les répondants à l’enquête de 2023 est d’ailleurs conforme au taux de logements occupés par leur propriétaire rapporté des années auparavant par des chercheurs pour l’Administration centrale de la statistique (CAS).
Les enquêtes de la CAS en 2007 et 2009 ont estimé le nombre de résidences principales à 930 500, avec une répartition de 2 pour 1 entre appartements et maisons individuelles. Selon le recensement des bâtiments de 2004 de la CAS, 71 pourcent des unités appartenaient à ceux qui y vivaient. Par ailleurs, un document de 2012 de la CAS sur la population et le logement au Liban indique que le pays comptait un peu plus de 408 500 bâtiments, qu’il s’agisse de maisons individuelles ou d’immeubles multi‑logements. Indicateur de facteurs limitant la valeur, l’âge du parc bâti était élevé, seules 21 pourcent des unités avaient moins de quinze ans au moment de la recherche.
Les estimations RDNA 2025 d’un parc national de 1 650 000 logements en 2024 ne sont pas aisées à concilier avec les enquêtes de la CAS ni avec les hypothèses corrélées de population nationale et de taille des ménages. Cela peut signifier un décalage entre les estimations de dommages et la réalité : le décompte de 162 900 unités détruites/endommagées correspond vraisemblablement à une part en pourcentage à deux chiffres, et non à l’approximation de 10 pourcent de la Banque mondiale.
La Banque mondiale, faisant écho à la large défiance vis‑à‑vis de la capacité de l’État à financer le relèvement, estime que plus des deux tiers de la charge de reconstruction devraient incomber aux citoyens (ou, comme le supposent d’autres, à des acteurs non étatiques et à des donateurs arabes), et non à l’État. Dans le jargon du RDNA, « Étant donné le caractère majoritairement privé du secteur du logement au Liban… il est estimé qu’environ 70 pourcent des besoins de reconstruction des infrastructures (environ 4 milliards de dollars) devraient être financés par des fonds privés. Les 30 pourcent restants (environ 2 milliards de dollars)… devraient être financés par le secteur public afin de soutenir les propriétaires les plus pauvres et les plus vulnérables. »
La manière dont seront définis les propriétaires les plus vulnérables, et s’ils bénéficieront du capital politique nécessaire et d’un soutien administratif impartial pour leurs situations, relève probablement d’un simple détail pratique à l’échelle d’un rapport macro. Compte tenu de besoins de reconstruction post‑conflit répétés et toujours écrasants sur près de quatre décennies, en 1992, 1997/1998, 2006 et 2024/2025, le pays s’est déjà aventuré dans des expériences allant des investissements du secteur privé au centre‑ville de Beyrouth à la dépendance vis‑à‑vis de donateurs arabes et occidentaux, et à l’acceptation d’entreprises de construction contrôlées par des milices. Ce que le corps politique libanais a constaté au fil de ces entreprises de reconstruction et de développement, c’est qu’elles s’accompagnent invariablement de chaînes d’attentes et d’obligations. Elles limitent la capacité d’exercer une véritable souveraineté et l’attachent à la logique du marché et à la logique politique de puissances extérieures.
Scénarios : échapper à une crise de logement permanente
Le pays est confronté à des défis nouveaux et simultanés : reconstruire des logements endommagés ou détruits dans la moitié des gouvernorats tout en développant la résilience climatique dans une nation fortement urbanisée. Ne pas relever ces défis risquerait d’exacerber l’état d’urgence aigu et le danger d’une crise du logement permanente trop peu reconnue.
Dans une perspective plus favorable, toutefois, le développement de la résilience climatique est perçu par certains comme la dernière meilleure chance d’une action nationale pour améliorer les habitats urbains et trouver des solutions d’habitat social. Cette opportunité historique est stimulée par l’intensité de la crise du logement et l’urgence de l’action climatique dans un pays qui, selon le ministère de l’Environnement, est bien davantage victime des problèmes climatiques qu’un contributeur à ceux‑ci.
En reconnaissant que l’ancienne approche du logement, le «désordre d’habitude», n’est opérante pour rien, trois vecteurs de développement se disputent la priorité afin de loger la population libanaise dans la dignité et avec une durabilité accrue.
Le premier vecteur est celui des initiatives civiques, des efforts de relèvement et de renaissance du patrimoine, y compris le patrimoine urbain du XXe siècle. Il s’agit d’un vecteur constant de soutien post‑conflit, comme en témoignent les réponses déterminées aux besoins de reconstruction des quartiers touchés par l’explosion du port de Beyrouth en 2020.
Ce vecteur a été remarquablement actif en 2025. Dans une impression pointilliste de cet été, de nouveaux projets de revitalisation du Grand Théâtre de Beyrouth et de la gare de Mar Mikhaël ont été lancés avec l’enthousiasme de la société civile et un appui international de l’UNESCO et de l’émirat de Sharjah pour le premier, et de l’UNESCO et de l’Italie pour le second. Le pays voisin méditerranéen, l’Italie, a en outre parrainé en septembre/octobre une exposition et une série de discussions sur des projets de renaissance urbaine, une initiative que l’ambassadeur d’Italie, Fabrizio Marcelli, affirme avoir été conceptualisée en décembre dernier, juste après la fin des hostilités de grande ampleur de la guerre de 2024.
Des projets civils, à but non lucratif, privés et municipaux offrent aujourd’hui des impulsions positives de vitalité urbaine au Liban. Mais attendre de leur portée qu’elle transforme les paysages urbains au‑delà d’investissements de quelques milliers à quelques millions de dollars, une menue monnaie au regard des montants que les grands promoteurs commerciaux et « promoteurs politiques » aiment mobiliser, relève d’un pari risqué. C’est un vecteur de développement de niche qui attire de jeunes innovateurs et des altruistes.
Le deuxième vecteur de développement appelant l’attention nationale est celui des investissements étrangers et de la reconstruction et du développement financés de l’extérieur. Ce vecteur, ambigu sur les plans éthique et politique, a fait l’objet de vifs débats dans l’environnement d’après‑guerre. Les expériences avec ce modèle, les inquiétudes suscitées par de nouveaux concepts vagues proposés et les rumeurs propagées ces derniers mois ont entraîné des réactions immédiates et multiformes. N’empêche, la possibilité de nouveaux schémas d’investissement farfelus et de dépendances politiques demeure bel et bien présente.
La réponse climatique comme espoir de salut urbain
Le troisième vecteur de développement est la maîtrise nationale du processus de développement, intégrée à un effort mondial de lutte contre le risque climatique. Ce vecteur correspond à un scénario de durabilité ambitieux rattaché au processus des Contributions déterminées au niveau national (NDC) élaboré dans le cadre des accords de Paris de 2015. Il sert deux objectifs : le Liban peut poursuivre une urbanité durable et résiliente au moyen de la toute nouvelle feuille de route d’action climatique du pays.
Le lancement officiel du paquet de politiques d’action climatique du Liban s’est tenu, par coïncidence, au premier anniversaire de l’escalade des attaques d’Israël contre le Liban, le matin du 23 septembre, dans la salle aux lustres du Grand Sérail. Des listes à puces brèves et facilement citables, ainsi que des fiches d’information, ont été distribuées avant les allocutions officielles lors d’un rassemblement politique libanais. Les documents diffusés, promesses imprimées d’un relèvement post‑conflit par l’action climatique, claironnaient que les Contributions déterminées au niveau national révisées du pays (NDC 3.0) constituaient un « outil pratique pour la relance nationale et l’espoir ».
La crise climatique, une chance cachée ?
Le défi à multiples volets consistant à rendre leur parc bâti à l’épreuve des risques climatiques majeurs et de l’ère numérique est universel pour les nations à l’histoire relativement longue d’habitat et de croissance urbaine à l’ère industrielle. Les difficultés rencontrées pour répondre aux besoins d’atténuation du risque climatique dans les pays prospères de l’UE en apportent la démonstration.
Au Liban, la réhabilitation des réseaux d’eau urbains est mentionnée dans le paquet « Climat » préparé pour la prochaine conférence des parties (COP) qui se tiendra en novembre à Belém, au Brésil. Elle y figure sous la rubrique « construire des villes résilientes », préparée de concert avec un ensemble actualisé de Contributions déterminées au niveau national (NDC 3.0).
Les NDC 3.0 stipulent l’ambition d’atteindre une réduction de 22 pourcent des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2035 dans un scénario inconditionnel (financé nationalement) et de 33 pourcent dans un scénario conditionnel (c’est‑à‑dire si l’action climatique est soutenue par l’aide internationale). Elles fixent en outre un objectif de 20 à 35 pourcent d’énergies renouvelables d’ici 2035.
L’itération précédente de 2020 des mêmes objectifs, qui a vu le Liban soumettre son jeu de NDC 2.0 remarquablement tôt, fixait des cibles de réduction des GES de 20 pourcent (inconditionnel) et 31 pourcent (conditionnel), et des parts de 18 pourcent (inconditionnel) ou 30 pourcent (conditionnel) d’électricité issue de sources renouvelables à l’horizon 2030.
Selon le suivi des NDC de Climate Watch du World Resources Institute, organisation à but non lucratif basée aux États‑Unis, les NDC 3.0 du Liban sont améliorées en termes de clarté, de transparence et d’adaptation, mais elles ne constituent pas un renforcement des objectifs 2030.
La fiche de cibles de court terme comprend la modernisation des réseaux d’évacuation, la restauration des écosystèmes dégradés et l’intégration de l’évaluation du risque climatique dans la gestion des villes.
Fin de l’encadré
L’intensité délibérée des présentations d’ouverture de la réunion a conduit les promoteurs issus des agences impliquées à expliquer le paquet de politiques au moyen d’une animation de 3,5 minutes, s’adaptant à la capacité d’attention des responsables politiques locaux, des journalistes blasés et des parties prenantes ordinaires.
Les fiches d’information affirmaient que les bénéfices économiques potentiels d’une action climatique déterminée seraient positifs pour l’économie et se traduiraient, à l’horizon 2050, par une croissance du PIB qui pourrait être supérieure de 40 ou 50 pourcent à celle d’un scénario « business as usual » (BAU). La déclaration imprimée et la fiche d’information relatives aux NDC 3.0 du Liban et à sa stratégie de développement bas‑carbone à court et long termes mentionnaient explicitement l’impératif de développer des villes résilientes au climat.
Un montant jugé dérisoire de 12,8 milliards de dollars doit être investi dans la résilience climatique d’ici 2035, selon les projections du ministère de l’Environnement et du PNUD. Les informations fournies sur le financement esquissaient des voies théoriques bien connues et mentionnaient le Lebanon Green Investment Facility (LGIF), domicilié au Luxembourg, annoncé en 2024 en collaboration avec le Fond Cedar Oxygen.
Le bref aperçu était toutefois avare d’indications sur la manière et le calendrier selon lesquels la transition urgente vers une résilience climatique urbaine serait légiférée, financée, encouragée et mise en œuvre. La feuille de route nationale comportait des cibles à court terme pour 2030 et à long terme pour 2050, pour des ambitions telles que la réduction des pertes du système d’eau jusqu’au niveau d’un approvisionnement durable, le traitement et la réutilisation à 100 pourcent des eaux usées d’ici 2050, et l’électrification à 100 pourcent des transports publics urbains et ruraux.
Néanmoins, la promotion de l’action climatique renvoie, à juste titre, à l’aspiration nécessaire d’une durabilité nationale. Il s’agit d’une alternative conceptuellement viable à un futur de « désordre d’habitude », fait de crises permanentes et de polycrises, dans l’urbanité cruciale du Liban.
Quel que soit le coût qui n’est pas encore établi, quels que soient les obstacles politiques, quelles que soient les menaces extérieures à la paix du Liban, la conséquence de l’inaction aujourd’hui sera d’une noirceur insoutenable pour les petits‑enfants de la génération actuelle de dirigeants politiques.
