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Financement éthique des indemnités de fin de service :
FRAREN

entretien avec le Réseau du secteur privé libanais

by Jamile youssef

Le Réseau du secteur privé libanais (The Lebanese Private Sector Network- LPSN) est une coalition de dirigeants d’entreprise, de professionnels et d’organisations engagés à préserver l’économie formelle du Liban et à promouvoir une croissance durable. Il opère en s’axant sur deux piliers : d’une part, le plaidoyer, qui publie des positions de politique publique et participe aux débats de réforme ; d’autre part, la mise en œuvre des politiques, représentées par Lebanon Works, qui vise à transformer les idées en initiatives concrètes favorisant l’emploi et la croissance.

Ces dernières années, le Réseau du secteur privé libanais, en collaboration avec d’autres acteurs du secteur privé, plaide activement pour des réformes et des solutions pratiques concernant les indemnités de fin de service (IFS) gérées par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).

À la suite de l’effondrement économique de 2019 et de la forte dépréciation de la livre libanaise, la CNSS a publié, en février 2024, le mémo 740 mettant à jour le taux de change utilisé pour calculer les droits à l’IFS accumulés sur une période de vingt ans. Le nouveau calcul applique désormais un taux de 89 500 LBP. Or, pendant la majeure partie de cette période, les employeurs ont versé leurs contributions sur la base des taux officiels alors en vigueur, d’abord 1 500 LBP puis 15 000 LBP pour 1 USD. Ce changement crée un défi majeur pour le secteur privé en raison de l’écart entre la valeur des contributions versées et l’indemnité désormais due aux salariés. Executive s’est entretenu avec des représentants du Réseau du secteur privé libanais pour évoquer les pressions auxquelles est confronté aujourd’hui le secteur privé formel, les risques pour les entreprises, les employés et l’ensemble de l’économie, ainsi que la question non résolue du financement de l’écart.

L’entretien a été mené avec les représentants suivants du Réseau du secteur privé libanais:

Rima Freiji – Présidente du Réseau du secteur privé libanais | Tanmia – Présidente Riccardo Hosri – Trésorier du Réseau du secteur privé libanais et responsable de l’unité Sécurité économique | SACOTEL – PDG Nay El Hachem – Membre du conseil du Réseau du secteur privé libanais | El Hachem Law Firm – Associée gérante George Abboud – Coresponsable de l’unité Sécurité économique du Réseau du secteur privé libanais | Earth Technologies – PDG et co-propriétaire Naeim EL Zein – Mira-Clé Training – Fondateur et associé gérant

Les réponses à chacune des questions reflètent les points de vue et éclairages partagés par les représentants du réseau au cours de l’entretien.

Qu’est-ce que l’indemnité de fin de service au Liban et quelle est la situation aujourd’hui ?

L’IFS est une somme forfaitaire à laquelle les salariés ont droit en fin de service. Elle est calculée en multipliant le dernier salaire mensuel du salarié par le nombre total d’années travaillées. Les employeurs versent 8,5 % des salaires à la branche IFS de la CNSS, sur une base mensuelle. Lorsqu’un salarié réclame son indemnité de fin de service, le dernier employeur doit couvrir tout montant manquant entre le total des contributions versées et le montant auquel le salarié a droit.

Pendant des décennies, les contributions ont été déclarées en livres libanaises au taux fixe officiel de 1 500 LBP pour 1 USD. Aujourd’hui, en vertu du mémo 740 de la CNSS, les règlements sont calculés à 89 500 LBP pour 1 USD. Ce changement signifie que les contributions antérieures ne couvrent qu’une fraction du règlement exigé actuellement, puisqu’il n’y a aucune prise en compte des versements effectués à l’ancien taux. Cela laisse aux employeurs la charge de couvrir intégralement l’important montant manquant au nouveau taux.

La Caisse a continué d’appliquer littéralement la loi et d’émettre de nouvelles notes, sans tenir compte des obligations déjà acquittées au taux de change d’alors ni des conditions extraordinaires engendrées par l’effondrement du pays.

Pour les entreprises comptant des salariés de longue ancienneté, les règlements IFS peuvent désormais atteindre des centaines de milliers de dollars, un fardeau sévère susceptible de menacer la survie des sociétés. En tant que secteur privé, nous avons déjà rempli nos obligations par le passé, et nous sommes pourtant effectivement contraints de payer à nouveau le montant manquant à des taux de change gonflés, en faisant abstraction de la réalité de la conjoncture.

Pourquoi jugez-vous cela injuste pour le secteur privé formel ? Quels sont les risques si la situation perdure ?

Le secteur privé formel paye aujourd’hui le prix de la conformité. Les entreprises qui ont régulièrement déclaré les salaires, acquitté les impôts et versé 8,5 % à la CNSS supportent désormais la totalité des insuffisances de l’IFS. Parallèlement, l’économie informelle, estimée à environ 60 % de l’économie libanaise, échappe totalement à ces charges et demeure intouchée. Cela crée une concurrence déloyale. Les sociétés formelles assument tout le coût de la conformité, tandis que les acteurs informels n’en supportent aucun et licencient sans conséquence.

De plus, en 2024, les entreprises formelles avaient systématiquement œuvré à rétablir les salaires à leur valeur en USD d’avant 2019, malgré la crise économique et la dépréciation monétaire. Cet effort visait à retenir les talents et à protéger les employés face à la crise en cours.

La question n’est pas seulement financière, elle est aussi structurelle. La CNSS n’a pas procédé à des audits réguliers de ses comptes, la transparence fait défaut et la Cour des comptes n’a pas publié de rapports. Cela laisse la Caisse dans une position fragile, avec peu de confiance et de redevabilité vis-à-vis des cotisants et des bénéficiaires. Nous avons déjà effectué nos contributions au taux en vigueur à l’époque, et il appartenait à l’État de protéger ces fonds. Notre conscience est tranquille. Nous payons ce que la loi exige, avons ajusté les salaires et soutenons nos équipes, et l’on agit pourtant comme si ces paiements n’avaient jamais existé.

Dans sa forme actuelle, en cas de défaut à honorer ses engagements financiers et juridiques, y compris la couverture du montant manquant de l’IFS, la CNSS peut empêcher les entreprises d’importer, d’exporter ou de mener des démarches administratives via le « certificat de décharge ». Une telle mesure paralyse les entreprises, y compris celles qui versent leurs contributions depuis des décennies. L’activité, l’exploitation et la survie de la société se trouvent liées à un problème systémique qui nous dépasse.

Les risques sont nombreux si l’on poursuit dans cette voie. De telles obligations, d’une ampleur pareille, menacent la survie même d’entreprises pourtant bien établies. Il ne s’agit pas d’un problème propre à un employeur ou un salarié ; c’est un problème systémique touchant l’ensemble du secteur privé formel, du fait de la dévaluation. Les entreprises comptant des effectifs à longue ancienneté font face à des règlements pouvant anéantir des années de revenus, tandis que les petites structures risquent tout autant l’effondrement sous des passifs qu’elles ne pouvaient ni prévoir ni maîtriser. La question des indemnités de fin de service ne concerne pas une seule société, mais l’économie productive formelle du pays dans son ensemble. Si cela continue, on assistera à une vague de faillites et de fermetures dans le secteur formel, entraînant des pertes d’emplois massives, une accélération de l’informalité et un affaiblissement du système de protection sociale que l’IFS est censée garantir.

Face à ces risques, qui devrait assumer la responsabilité de combler l’écart lié à l’IFS ? Doit-il incomber entièrement aux employeurs conformes, ou le coût devrait-il être réparti plus équitablement entre l’État, les entreprises et les salariés ?

La solution ne peut consister à transférer la totalité du coût de l’insuffisance sur les employeurs. Le secteur légal a déjà respecté la loi et versé ses contributions, mais l’État a échoué à protéger ces montants. À présent, ceux qui respectent la loi et ont ajusté les salaires de leurs employés sont pénalisés, tandis que les secteurs non conformes s’en sortent. Ironiquement, au cours des cinq dernières années de crise, le seul véritable filet de sécurité dont les salariés ont bénéficié est venu du secteur privé formel lui-même. Les entreprises ont continué à soutenir leurs équipes et à maintenir leurs opérations à un moment où ni l’État ni la CNSS n’offraient une protection significative.

Il appartient à la CNSS et au gouvernement de trouver une solution. Nous sommes prêts à contribuer, mais uniquement d’une manière réaliste et prévisible, qui tienne compte des contributions passées et ne menace pas notre survie. Un cadre équilibré, sous la supervision de l’État et dans une approche qui reconnaisse la crise comme nationale plutôt qu’individuelle, pourrait répartir la responsabilité plus équitablement et offrir aux employeurs comme aux salariés un certain degré de sécurité.

En quoi la nouvelle loi sur les retraites change-t-elle la donne ? Le secteur privé est-il prêt à adopter ce système de pension ?

La nouvelle loi sur les retraites, la loi 319, adoptée fin 2023, vise à remplacer l’IFS, versement forfaitaire, par un système de pension. Les pensions seraient versées mensuellement, et non plus en une seule somme. Toutefois, le taux exact de contribution des employeurs et les décrets d’application nécessaires demeurent très flous.

Sur le papier, ce modèle corrige plusieurs défauts du régime d’IFS. Mais pour qu’il constitue une véritable solution, il doit être mis en œuvre efficacement, couvrir les employeurs et les salariés de l’économie formelle, et s’accompagner de réformes effectives afin de traiter les écarts d’IFS non résolus. À défaut, ce basculement risque d’être une énième politique sans la stabilité ni l’équité indispensables à sa viabilité de long terme.

Des inquiétudes subsistent. Des contributions plus élevées impliquent un coût du travail supérieur, et tant que le système n’est pas appliqué à l’échelle nationale, y compris aux activités informelles, les entreprises conformes seront davantage désavantagées. Sans réglementation, contrôle et application renforcés, le fossé entre secteurs formel et informel se creusera encore, au détriment des entreprises qui sont déjà exposées. En outre, les décrets d’application du système de pension n’ont pas encore été pris, et la CNSS elle-même demeure financièrement instable et administrativement fragile.

Il est irréaliste d’avancer sur la réforme des retraites tant que l’écart d’IFS demeure non réglé. Basculer vers le nouveau système sans d’abord apurer l’écart d’avant-crise n’est pas raisonnable. Si l’on force les entreprises à absorber le montant manquant puis à supporter des contributions futures plus élevées, elles s’effondreront tout simplement, et il ne restera plus de secteur privé pour financer le nouveau régime. Dans ce cas, le système même conçu pour garantir des prestations de retraite sûres échouerait avant même de démarrer.

Quels conseils adresseriez-vous aux employeurs, aux salariés et à l’État ?

Le secteur privé formel est la pierre angulaire de l’économie. Les entreprises formelles acquittent impôts, droits de douane et contributions à la CNSS, et offrent des avantages additionnels tels que l’assurance maladie. Si elles s’effondrent sous des obligations impossibles, les salariés perdront leurs emplois et protections, tandis que l’État perdra une source essentielle de recettes. Ainsi, basculer dans l’informalité peut apporter un répit aux employeurs, mais finira à terme par affaiblir la protection des travailleurs et déstabiliser l’économie.

Les employeurs du secteur privé formel sont attachés à la formalité : ils ne peuvent ni omettre de déclarer les salaires, ni cesser de payer les contributions à la CNSS, et ils continueront de veiller à la préservation des droits des employés. Les montants manquants au titre des IFS sont systémiques et ne relèvent pas de la faute des entreprises individuellement. Par conséquent, la CNSS devrait cesser d’utiliser le « certificat de décharge » comme un instrument de pression. À l’heure actuelle, des sociétés peuvent se voir interdire d’importer, d’exporter ou de mener des démarches administratives si elles ne peuvent combler les écarts d’IFS dus à la forte dévaluation. On ne peut pas interrompre l’activité commerciale d’une entreprise à cause d’un problème systémique. Cette

pratique risque de conduire à la fermeture d’entreprises de longue date et se retournera contre les employés comme contre les employeurs.

Il doit exister une césure claire entre les années d’avant et d’après la crise, reconnaissant les contributions effectuées avant l’effondrement. Il est déraisonnable d’affirmer que tout ce qui a été payé auparavant ne vaut plus rien. Un règlement juridique s’impose. Seul un cadre piloté par l’État peut rétablir l’équité et protéger employeurs, salariés et économie.

Par ailleurs, la reconstruction de la confiance dans le système de protection sociale libanais exige transparence, clarté juridique et responsabilité partagée. Nous ne pouvons être sommés d’absorber seuls les écarts liés à la crise. La survie de l’économie formelle et le financement éthique dépendent de règles édictées par l’État qui soient équitables, applicables, durables et protectrices à la fois des employés et des employeurs. Le Réseau, de concert avec d’autres organisations du secteur privé, travaille à proposer des solutions et des recommandations durables et équitables tant pour les salariés que pour les employeurs, tous deux victimes d’une crise dont ils ne sont pas responsables.

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